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14 mars 2006

Quand l’Union européenne choisit la précarité

Valérie Fourgassié et Clotilde Monteiro

Le CPE n’est pas une particularité française. Les autres pays européens ont également des politiques favorisant la flexibilité. Tour d’horizon chez nos voisins.

Le développement de la précarité et la remise en cause du droit du travail ne sont pas spécifiques à la France. De nombreux pays européens suivent des politiques similaires dans l’espoir fou d’améliorer la compétitivité européenne et de créer des emplois. Le phénomène ne touche pas seulement les nouveaux adhérents, sinistrés par un demi-siècle derrière le rideau de fer ; des pays proches de nous géographiquement et économiquement expérimentent eux aussi les orientations de la « stratégie de Lisbonne », adoptée en mars 2000 par les quinze chefs d’État et de gouvernement qui composaient alors l’Union européenne.

Allemagne

Alors que l’épreuve de force engagée entre le gouvernement français et les opposants au contrat première embauche ne faiblit pas, les ministres socialistes et conservateurs allemands issus de la coalition formée en novembre dernier se livrent à une bataille avec la flexibilité du travail comme toile de fond.

Avec, en 2004, près de 30 % des actifs occupant un emploi dit « atypique », l’Allemagne, comme la France, voit le contrat à durée indéterminée, garant des droits à la sécurité de l’emploi, se disloquer et reculer au profit d’emplois précaires. Si la flexibilité et la baisse du coût du travail, encouragées par la stratégie de Lisbonne, tendent à devenir la norme, elles rencontrent de façon sporadique des résistances. La mesure sur l’allongement de la durée de la période d’essai de six à vingt-quatre mois pour tous les contrats à durée déterminée, dont l’entrée en vigueur était prévue au mois de mars, a mis le feu aux poudres au sein de la coalition. Le parti socialiste allemand à fait savoir par la voix du ministre du Travail, Franz Müntfering, qu’il souhaitait « remettre à plat » ce projet après que les leaders conservateurs (CDU) ont jugé que cet accord « n’allait pas assez loin ». La levée de boucliers du parti de gauche sur la question de la flexibilité du travail n’aurait rien de surprenant si le SPD n’avait été l’artisan du chantier des premières grandes réformes libérales sous l’ère du chancelier Schröder.

La mesure incriminée ne fait en réalité que s’inscrire dans le processus des réformes libérales du code du travail engagées depuis 2002. Codifié par les lois « Hartz » entrées en vigueur entre 2003 et 2005, le plan connu sous le nom d’« Agenda 2010 » s’articule autour de deux axes : la flexibilisation de l’emploi et la mise en place de mesures coercitives pour inciter les chômeurs de longue durée à la recherche active d’un emploi.

Derrière le concept « aider et exiger » se cache la mise en oeuvre d’un contrôle des chômeurs et la diminution de leurs prestations. La durée du versement des indemnités de chômage est ramenée de trente-deux à douze mois.

Sous couvert de lutte contre le chômage de masse, les lois « Hartz » encouragent d’autre part le développement d’un segment d’emplois à bas salaires et occasionnels, principalement concentrés dans les services, et dont le dénominateur commun est la flexiblité. L’emploi précaire devient la voie « privilégiée » et quasi obligatoire de l’insertion vers l’emploi. Alors que la législation sur les « minijobs » (emplois rémunérés à 400 euros) est assouplie, la loi ajoute une nouvelle catégorie de contrats : « les midijobs » (emplois rémunérés à 800 euros). Au premier trimestre 2004, les créations nettes de « minijobs » (à titre d’activité principale) progressaient à un rythme annuel de 7,5 % contre une baisse de 0,5 % de l’emploi salarié total. Dernier outil hybride issu des lois « Hartz » : les « 1-Euro-Jobs ». Destinés aux bénéficiaires de l’allocation chômage, ces travaux occasionnels d’intérêt public n’offrent aucune couverture sociale et ne sont pas soumis au code du travail. Dans le processus de réformes libérales engagées en Allemagne, il est à craindre que le récent « gel » de la mesure d’allongement de la période d’essai ne soit qu’un sursis pour les salariés allemands.

Italie

Le mouvement de libéralisation de l’emploi avait été initié en Italie, en 1996, par le gouvernement Prodi, avec la signature d’un nouveau pacte pour l’emploi, appelé « Parchetto Treu » (du nom du ministre du Travail de l’époque). Les mesures proposées introduisaient, déjà, une plus grande flexibilité de l’emploi avec la mise en oeuvre, entre autres, du travail intérimaire et l’introduction de « contrats de zone » (proches des zones franches françaises). La loi Treu a bénéficié d’un relatif consensus de la part des forces politiques et des syndicats. Ces derniers étant appelés, dans un tel contexte, à jouer un rôle de garants des intérêts des salariés.

À partir des années 2000, encouragé par la stratégie de Lisbonne, le gouvernement italien accentue la flexibilisation d’un marché du travail jugé encore trop rigide, avec le « Pacte pour l’Italie », ou loi Biagi (du nom d’un économiste, conseiller du gouvernement Berlusconi), signé en 2002. Son objectif officiel, rapprocher l’Italie des autres pays européens en résorbant les dysfonctionnements chroniques du marché du travail italien : travail au noir (estimé à 25 % du PIB), chômage, faible taux d’activité des femmes et des jeunes (surtout dans les régions du sud de l’Italie)... Pour y remédier, la loi Biagi met à la disposition des employeurs un éventail de nouveaux contrats de travail, « intermittent », « accessoire », « partagé », « en couple », ou encore « travail sur projet ». Ces contrats dits « atypiques » sont tous à durée déterminée et assortis de faibles salaires (inférieurs à 1 000 euros). Les retraites qui leur correspondent sont estimées à 30 % de la dernière rétribution.

Aujourd’hui, un quart des salariés italiens ont un contrat de travail « atypique ». Les statistiques invalident l’argument selon lequel ces contrats seraient à terme une passerelle pour le monde du travail à durée indéterminée. Un tiers des salariés qui leur sont soumis enchaînent ce type de contrats depuis cinq ou dix ans, et 60 % des travailleurs âgés de 26 à 39 ans n’en ont jamais connu d’autres. La loi Biagi a, de fait, engendré une nébuleuse d’emplois précaires en parallèle d’un marché du travail standard qui demeure inaccessible à ces travailleurs précaires. Les contrats « atypiques » représentaient, en 2004, 70 % des créations d’emplois. Si le chômage est passé de 9,5 % en 2001 à moins de 8 % en 2005, ces mesures, comme les précédentes, échouent à résorber le travail au noir. Un tiers des emplois demeureraient irréguliers en Italie (source l’Ires-CGIL).

Autre source d’inquiétude, l’hétérogénéité et la fragmentation des contrats précaires rendent encore plus difficile l’action syndicale en direction des travailleurs concernés. Rien d’étonnant donc à ce que les manifestations anti-CPE soient soutenues en Italie. Au point que la précarité (des jeunes) est devenue un des thèmes de la campagne électorale. Les élections législatives des 9 et 10 avril permettront peut-être à Romano Prodi d’aménager la loi Biagi, comme il l’a promis, pour favoriser les embauches en CDI en taxant plus fortement le travail en CDD...

Espagne

En Espagne, José Luis Zapatero projette également d’encourager la transformation des CDD en CDI en baissant le coût de ce dernier via une prime de licenciement plus faible. Si les négociations sont actuellement au point mort avec les partenaires sociaux, le chef du gouvernement n’envisage pas de légiférer sans eux (contrairement au gouvernement français). Le défi pour Zapatero étant de satisfaire aux exigences de la stratégie de Lisbonne sans braquer les partenaires sociaux, et de répondre aux dysfonctionnements patents du marché du travail. L’Espagne est, en effet, un des pays européens à plus fort taux de travail précaire. Un emploi sur trois est un emploi temporaire, contre un sur dix en France. Cette situation est le fruit de deux décennies durant lesquelles les gouvernements successifs ont libéralisé le recours à des CDD ou à des contrats d’intérim. À partir de 1994, le contrat temporaire est devenu le mode majoritaire d’embauche. Le taux de précarité a passé la barre des 30 % depuis le début des années 1990. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’il concerne toutes les catégories de salariés et tous les secteurs d’activité. Mais cette précarité touche en proportion plus de femmes que d’hommes, et n’épargne pas les jeunes. En 2004, 52 % des trentenaires avaient un contrat temporaire. De même que chez les diplômés âgés de 25 à 34 ans, 11,5 % d’entre eux sont sans emploi. Ce taux est le plus élevé d’Europe, la moyenne se situant autour de 6,5 %.

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