Pour un Congrès de Tours d'unification
"Nous n'avancerons qu'en nous unifiant": le sens de cette phrase de Teilhard dépasse évidemment, mais donc inclut, l'évolution politique de l'homme en général et de chaque groupe humain en particulier. Elle évoque deux actions agissant dialectiquement l'une sur l'autre.
Pour avancer, pour aller en avant, pour imaginer et construire un avenir, il faut nous unir entre nous et nous unir au monde, il faut "être plus" (1), c'est-à-dire être ensemble. Mais aussi: si nous avançons, si nous regardons dans la direction de l'avenir, en avant, sans oublier le passé mais sans en être prisonnier, alors nous pourrons nous unir entre nous et avec le monde.
Rassemblons-nous, dans la richesse de nos diverses personnalités, pour avancer, c'est-à-dire créer un avenir humain et, du même élan, avançons déjà pour nous rassembler, pour faire de la somme de nos énergies une énergie nouvelle, plus forte et plus exigeante. Plaçons-nous dans une perspective de mouvement, ne restons pas statiques. L'immobilité, le statu-quo, la guerre des tranchées, la défense des positions acquises comme seule perpective, le repli sur soi, cela ne suffira pas pour endiguer et faire refluer la vague réactionnaire et construire un avenir, "un socialisme, à visage humain" (2). Le mouvement comporte un risque, c'est un pari que de croire que "tout ce qui monte converge" (1), mais l'immobilisme est pire car ne pas avancer dans ce monde c'est reculer. N'attendons pas d'être d'accord sur tout pour nous mettre en chemin.
L'idéal qui nous anime, qui nous est commun, une société où l'homme prime sur l'économie, le travail sur le capital, le tout sur le partiel, l'avenir sur le passé, cet idéal doit être "plus réel que le réel" (3) car le réel est du passé fossilisé, quelque chose sur lequel nous n'avons pas prise, que nous devons comprendre mais pour nous en libérer. Seule la construction de l'avenir est digne de notre action et source "de cohérence, de fécondité" (1), et donc susceptible de nous réunir, de nous rassembler, de nous unifier. L'horizon est certes chargé de nuages, qu'importe ! c'est en marchant que nous découvrirons le ciel derrière eux.
A condition que chacun - groupe, association, syndicat, parti, militant, simple citoyen, - soit persuadé que l'union enrichit, qu'il a quelque chose à apprendre de l'autre, qu'il doit renoncer à faire prévaloir en tout son propre point de vue. Cet apprentissage est d'abord le fruit de la commune action dans la commune espérance d'un monde où la compréhension, la coopération, la cogestion l'emportent sur l'individualisme, "la concurrence de tous contre tous" (4), les égoïsmes et les dominations de classe, de nation, de religion ou de race.
Comment mettre en oeuvre cette grande ambition, cette "certaine idée de la France" (5) ? Aujourd'hui, si la gauche sait d'où elle vient, elle ne sait pas où elle va. La gauche gestionnaire, obnubilée par la ligne de "gestion loyale" (6) des "dérives du présent" (4) n'en peut plus des concessions au marché, au libéralisme économique, à la loi de la croissance pour la croissance, qui lui ont fait perdre son identité, et donc sa crédibilité. La gauche transformatrice quand à elle a oublié que le parti n'est pas une fin en soi mais un moyen au service d'une cause. Le parti de demain n'est d'ailleurs pas celui d'aujourd'hui: "naissant du sol de la société moderne" (7), sans doute revêtira-t-il une forme inédite, plus réseau transversal autogéré par les afhérents, et doté d'une coordination souple, que parti centralisé comme les partis actuels regroupés autour de professionnels de la politique.
Aider la gauche gestionnaire à retrouver une identité de gauche plutôt que de se perdre dans le marécage centriste, aider la gauche transformatrice à se fédérer plutôt que de se livrer à d'incessants règlements de comptes, aider à l'union des deux gauches dans l'exercice des responsabilités plutôt que de continuer l'une à faire le consul et l'autre le tribun, et pour cela promouvoir le dialogue plutôt que l'anathème , la recherche d'accords de fond plutôt que du plus petit dénominateur commun, la prise en compte des différences qui enrichissent plutôt que la recherche de l'hégémonie qui appauvrit, l'intervention de la base plutôt que les projets imposés d'en haut: telle est ma gloire !
Le Congrès de Tours en 1920 a vu la scission entre communistes et socialistes; les leçons du passé, les dangers du monde, les risques qui pèsent sur notre terre, la nouvelle ligne que la réalité trace entre croissance et sens de la vie, entre réformes et révolution, n'indiquent-ils pas que le moment est venu de se fixer l'horizon d'un Congrès de Tours à l'envers, pour unir "les hommes de bonne volonté" (8) ?
(1) Teilhard de Chardin
(2) Selon la belle expression du "Printemps de Prague" en 1968
(3) Fichte
(4) Garaudy
(5) De Gaulle
(6) Blum
(7) Marx
(8) et les femmes. Romain Rolland
Alain - email : 3alain@gmail.com
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