Les fausses habilités de Sarkozy
L e "paquet fiscal" de Sarkozy, son cadeau de bienvenue, pose deux
questions: quelle gestion de la lutte des classes, et quelles relations
avec les autres bourgeoisies européennes? Cette terminologie que
d’aucuns jugeront archaïques est pourtant appropriée. La loi TEPA
(travail, emploi et pouvoir d’achat) marque en effet une offensive de
classe sans complexe qui organise un transfert de grande ampleur en
faveur des couches sociales les plus favorisées. Certes, cette loi
semble marier la carpe et le lapin: bouclier fiscal et baisse des
droits de succession pour les plus riches, crédit d’impôt sur les
emprunts pour les "classes moyennes" et défiscalisation des heures
supplémentaires pour une fraction (d’ampleur d’ailleurs indéterminée)
du salariat. A
court terme, cela peut faire une majorité. Mais ce court terme ne
durera que jusqu’au prochain budget, puisqu’il faudra bien financer une
partie au moins de ces largesses. Or, tous les moyens envisageables
pour le faire vont frapper une autre majorité. Avec la TVA sociale, les
consommateurs vont voir les prix augmenter, car il y a peu de chances
que le gouvernement réussisse à convaincre les entreprises de ne pas
profiter de l’aubaine en la répercutant sur leurs prix. Les
fonctionnaires vont se trouver coincés entre le marteau des réductions
d’effectifs et l’enclume des heures supplémentaires impossibles à
payer. Les bénéficiaires d’heures supplémentaires vont peu à peu
découvrir que la contrepartie est une moindre progression du salaire de
base, et les salariés qui n’auront pas eu la possibilité de profiter de
la manne seront légèrement aigris. Et tout le monde ou presque pâtira
d’une nouvelle dégradation des services publics et de la Sécurité
sociale. A moyen terme, le programme de Sarkozy, une fois lancé,
est une machine infernale, dont toutes les pièces s’imbriquent les unes
dans les autres: nouvelle "réforme" des retraites, nouvelle "maîtrise"
des dépenses de santé, nouvelle réduction des moyens des services
publics, nouveau contrat de travail. On voit bien alors que la base
sociale du sarkozysme est destinée à se rétrécir comme peau de chagrin.
Si la majorité de la population réalise qu’elle paie les cadeaux aux
riches, les ¦illères risquent de tomber assez vite. Tel est le
dilemme de Sarkozy. S’il cherche à faire passer l’intégralité de son
programme, il fabrique mécaniquement une compréhension du contenu de sa
politique. S’il y renonce, il perd son crédit politique fondé sur
l’idée de rupture. Ce ne sont pas quelques Besson ou Hirsch de plus qui
suffiront à résoudre cette équation. D’où la nécessité d’une certaine
distance à l’égard de l’orthodoxie européenne. D’un côté, on donne un
coup de pouce à Angela Merkel pour faire passer son traité simplifié,
mais, de l’autre, on reporte aux calendes grecques le retour à
l’équilibre budgétaire et on institue une TVA sociale. Cette mesure -
très peu coopérative - vise à reporter sur les autres pays la charge
d’un certain laxisme budgétaire. Là encore, la voie est étroite car les
rodomontades du gouvernement français sur la Banque centrale et sa
non-gestion de l’euro sont un pur simulacre dans la mesure où il n’a ni
l’envie ni les moyens de s’affranchir durablement du carcan libéral
européen. La reprise économique pourrait desserrer cette
contradiction en donnant des marges de man¦uvre budgétaires. Mais il
faut compter aussi avec la médiocrité du personnel politique: gaffes de
Fillon, inconsistance de Besson, souverainisme insultant de Guaino ("Le
problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours
ressasser" fait-il dire à Sarkozy à Dakar). Il suffit de lire les
articles de Godet qui ont inspiré la réforme des heures supplémentaires
ou encore le discours de Lagarde à l’Assemblée pour découvrir que la
cohérence idéologique de Sarkozy est de faible intensité. Pour la
ministre de l’Economie, par exemple, "il ne sert à rien de se
chamailler quand il est l’heure de travailler". On est donc assez loin
de Gramsci. L’habileté supposée de Sarkozy ne tiendra pas la distance,
et les astuces style "plan Alzheimer pour justifier les franchises"
n’auront qu’un temps. La politique de Sarkozy est donc condamnée à
ressouder le camp du travail et fissurer celui du capital. Mais tout
dépendra des luttes sociales qu’il trouvera sur son chemin. Et ce n’est
pas une clause de style.