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28 février 2012

Sarkozy : les cantines contre le Fouquet’s -

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Un matin comme les autres. Le candidat Sarkozy arrive à pied à son QG (comprendre qu’il a parcouru à pied les cent derniers mètres). A l’équipe d’une chaîne continue qui filme cette image sidérante, le piéton lance, moqueur : «A la fin de la campagne, vous en aurez assez de marcher à reculons ?» Parce que l’équipe est là, évidemment, fidèle au poste, comme chaque matin.

Et non seulement elle le filme, mais elle diffuse en direct les images de son arrivée matinale, et pédestre.

Sarkozy est arrivé à son QG : l’information est capitale, en effet. Notez bien que le président sortant est le seul à être ainsi traité. Les chaînes d’info ne nous informent pas de l’arrivée à leur QG de Marine Le Pen, ou même de François Hollande. Attention, il va prendre le train : flash spécial. A la gare du Nord : re-flash. Avec Rachida Dati : débat de politologues. Est-elle vraiment rentrée en grâce ? Ah, son train est retardé d’un quart d’heure : Antoine, vous êtes en duplex de la gare du Nord, a-t-on davantage d’informations ?

Finalement, son train est parti : bandeau d’alerte en bas de l’écran. Ouf ! La chaîne souffle. Dans l’impossibilité d’établir une liaison en direct avec le train, profitons de ce moment de répit pour décrypter toute la séquence : décidément, la présence de Rachida Dati a été très médiatisée, décrypte le décrypteur.

Le candidat Sarkozy jubile : il est redevenu un bon sujet, comme en 2007. Il fournit de bonnes images, une bonne histoire, un vrai suspense (va-t-il renverser la vapeur ?) Il a rajeuni de cinq ans. Est-il pour autant revenu en 2007 ? Peu lui importe, pour l’instant. Il savoure. La surexposition, ces derniers jours, de l’image de «l’homme seul, candidat du peuple, qui marche dans rues, à la rencontre du peuple» repose l’éternelle question de l’influence de la télé sur l’élection. Sarkozy, désormais inaudible, peut-il espérer peser par cette seule image ? La question de l’influence de la télé s’est modifiée, semble-t-il.

Au rendez-vous fédérateur du 20 Heures, liturgie préhistorique dont la vacuité apparaît aujourd’hui évidente, se sont substituées les chaînes d’info continue, fascinées par le direct et par lui soumises. Entendons-nous : cette fascination est uniquement visuelle. Face aux mots de Sarkozy, les journalistes de l’info continue conservent leur sens critique professionnel.

Quand Sarkozy propose d’interdire les parachutes dorés, les chaînes d’info font leur boulot : elles rediffusent toutes les promesses identiques, et non tenues, du candidat. Mais ce zèle à démonter les mots s’évapore soudain dès que les mêmes journalistes se trouvent devant cette chose stupéfiante : des images.

Si les mots sont immédiatement domptés, les images galopent en liberté. L’arrivée de Sarkozy, le matin, à son QG de campagne, à pied et sans gardes du corps, est unanimement traitée avec autant de respect qu’un incunable. Il ne viendrait pas à l’idée d’une chaîne de filmer le contrechamp : comment les policiers s’écartent du champ. Et quand la machine de l’info continue ne les transmet pas en direct, ces images, elle les diffuse en boucle, comme illustration visuelle, dans une entreprise ininterrompue de décervelage. Jusqu’à ces derniers jours, les réseaux sociaux, majoritairement antisarkozystes, traitaient par la dérision cette propagande bananière (le détournement immédiat de l’affiche maritime de campagne du candidat fut à cet égard un grand moment).

Mais il se pourrait bien que cet équilibre se rompe. Les ouvertures successives, par le candidat président, d’une page Facebook, d’un compte Twitter, et d’un compte Deezer, ont peut-être bien changé la donne. Inondant ces supports de l’image qu’il souhaite donner (candidat du peuple, proche des gens, qui marche dans les rues sans gardes du corps, etc.)

Sarkozy s’est donné les moyens de la polyphonie. L’image de propagande parvient désormais aussi bien par le canal officiel historique du 20 Heures, par les canaux officiels néomodernes des chaînes continues, et par les maquisards rebelles de Twitter, effarés mais fascinés. Toute la semaine dernière, le public a été cerné par l’image de l’homme qui parle à l’oreille des femmes enceintes et des garçons de café du XVe arrondissement.

Quant aux reportages écrits, ils ratifiaient, avec toute l’autorité de la graphosphère, ce que montraient les images : le nouveau Sarkozy parle vraiment aux garçons de café et il est vraiment charmant avec les journalistes. Cette polyphonie, le fait qu’un même message parvienne par des canaux différents, avec des habillages différents, a toutes les caractéristiques d’un emballement. Cela va-t-il marcher ? L’image de la cantine d’Alstom va-t-elle effacer celle du Fouquet’s ?

Ce n’est pas certain. Mais le contraire n’est pas certain non plus.

 DANIEL SCHNEIDERMANN

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